Titre Vélo


Retour à la carte

Inde — 23/02/2005 au 24/03/2005

Carte Inde
Inde01 Inde02

Quittant la ville sacrée d'Amritsar, nous prenons la direction des montagnes, de la fraîcheur et d'une Inde encore plus inconnue car inimaginée. Une étape de cent kilomètres nous amène au pied de ces géants géologiques, et la route nous gratifie d'un état parfait et d'une platitude de la même veine. Vous pourriez penser que pour le vélo, la plaine, c'est l'idéal… dans la pratique, pour pédaler, indéniablement, c'est plus confortable, mais finalement assez lassant. L'éden du cycliste qui voyage se trouve dans les hauteurs, sans doute rudes et difficiles à affronter, mais qui récompense tellement mieux les efforts. Du plaisir visuel à l'état pur, et même en grimpant. Finalement, la montagne représente un peu la métaphore du voyage, avec des moments difficiles mais d'autres qui font tout oublier !

Inde03 Inde09

Première halte à Dalhousie, Chamba, dans les contreforts de l'Himalaya. Nous retrouvons la neige, tombée jusqu'à ensevelir complètement les voitures et à réduire les routes bitumées à des sentiers pédestres. La nature reprend ses droits. Les gens des hauteurs sont moins curieux que ceux des basses terres et leurs sourires tellement francs ! Une excursion en bus nous offre quelques sueurs froides sur des routes parfois effondrées sur toute leur largeur, pour ne pas avoir trop de cheveux blancs, nous contemplons les terrasses artificielles sur lesquelles poussent blé en saison sèche et riz pour la mousson. Le vert tendre semble être le premier que nous voyons… et il nous accompagnera longtemps. Les maisons poussent partout, surtout aux endroits les plus escarpés, comme une anarchie montagnarde. Elles ne sont souvent accessibles qu'à pied. Une route pour arriver chez soi ? Mais à quoi cela sert-il ?

Inde22 Inde15

L'étape suivante est comme une surprise, comme passer une frontière sans s'en apercevoir. À Daramshala, plus précisément au-dessus, à McLeod Ganj vit une communauté de tibétains ayant suivis leur leader politique et religieux, le Dalaï-Lama. Les touristes et les tibétains en majorité sur les indiens créent un microcosme culturel préservant l'identité d'un pays qu'on dit ici occupé, le Tibet. Nourriture, religion, costume, langue, apparence, tout est différent, tranquille. Nous avons la chance de tomber « sans faire exprès » dans la période du « teaching » du Dalaï-Lama. L'ambiance en devient toute différente, peut-être est-il dû à la présence de cette personne cet air léger de liberté et de paix qui a soufflé sur nos têtes ?

Inde12

Après plus d'une semaine passée ensemble à traverser les ruelles encombrées de bouddhistes revenant du teaching, deux hommes comme deux volontés se rencontrent. L'une est de reprendre la route pour rendre visite à l'agréable ville de Shimla tandis que l'autre semble se clouer dans ce village pour quelques jours encore. Ainsi après quelques cinq mois de voyage, la surprise de se retrouver tout seul pendant une semaine cède la place à l'agréable. Voyager à deux ne peut pas se définir comme rester ensemble et partager les mêmes choses, et ce de façons récurrentes. Deux, comme deux êtres qui se forment à travers un même fil conducteur aux chemins parfois différents, mais à la même énergie : être ensemble dans ce grignotage de monde. Comme vous l'aurez peut-être deviné, Foux prend la route de la joie et Charlo profite de respirer encore un peu plus cet air sacré si bonifiant.

Inde04

Comme sur un dessin, une semaine sans son coéquipier fait beaucoup de chemin parcouru sur la route et dans nos esprits. Un temps mis à profit pour faire une autre découverte, celle de voyager seul dans sa tête et avec son vélo. Définitivement agréable cette expérience !

Pour la première fois du voyage le récit peut donc se séparer lui aussi en une ligne verte et rouge.

La semaine vue par Charlo :

Son

Tout d'abord, dois-je me justifier de mon séjour rallongé à McLeod Ganj ? Il me semble intéressant pour les lecteurs que vous êtes de décrire un peu plus en détail ce que je pense du voyage après ces mois d'expériences. La découverte du paysage est depuis le début garantie de jour en jour, des campagnes françaises aux terrasses vertes de blé de l'Inde, la panoplie qui s'est déployée sous nos yeux ressemble à ces émissions de télévisions qui vous font sauter d'un continent à l'autre en quelques minutes.

Pour autant je ne veux oublier pas la partie « … des hommes » de notre périple. Bien sûr, la route est un cinéma, affairés ou simplement endormis, criants ou bien silencieux… mais combien d'entre eux ai-je réellement rencontrés ? Depuis le début ai-je seulement ressenti l'âme d'un endroit par ses hommes qu'il contient ? La réponse ne fut que plus précise lorsque je regardais les laides maisons de McLeod Ganj, qui me plaisaient pourtant ? Non, il m'était bien égal de rater un autre endroit dit comme étant joli, ma priorité n'était définitivement plus celle de me rendre aux endroits décrits par le Lonely Planet et qui font rêver. Je me lasse de fuir le temps et de rencontrer la terre, le bois ou le béton lorsque que cela est au détriment d'une parole, d'une pensée que je voudrais avoir en moi pendant quelques éternités. Suis-je décevant ? Peut-être inévitablement. Pourtant je ne me sens nullement coupable de voir désormais le voyage comme plus intérieur qu'extérieur. Il faut vivre peut-être ces cinq mois de voyage pour comprendre si je dis ne plus être excité à l'idée de voir le Taj Mahal ou les temples d'Angkor.

Alors comment décrire ce lieu finalement banal et peu harmonieux autrement que par son atmosphère ?

Les lépreux sur le côté de la route sale de détritus mélangés aux mendiants professionnels donnent aux touristes une réflexion obligatoire sur la ligne de conduite à suivre avec eux. Pourquoi ai-je choisi de ne jamais rien leur donner en argent et en nourriture ? Par souci pour eux, devrais-je dire. Je ne vois pas comment entretenir et supporter ces mains qui s'ouvrent devant nous telles des tulipes au soleil peut leur être utile. Un enfant naît avec le don de mendiant, pourquoi ne pas le pousser à avoir d'autres dons, ceux qu'ils pourraient trouver à l'école quatre kilomètres plus bas ? Les mères me connaissaient à la fin de ce séjour, « École ! » me disaient-elles ironiquement…

Et soudain, vers seize heures, les artères devenaient rouge sang et des sourires de bonne humeur y débordaient. Une leçon sur la vie sans paroles. Pourtant, comme un défaut, je suis curieux et des rencontres m'ont appris un peu plus sur le bouddhisme.

Toujours et encore respirer et rester dans cette atmosphère d'un monde jamais exploré.

La terrasse en face des montagnes et bordée de personnes succulentes où je pratiquais le yoga fut l'endroit idéal pour goûter à cette joie de la communion du corps et de l'esprit. La sensation de légèreté qui s'émane de vous après demeure une journée entière et ne m'a que plus ouvert les portes de la bonne humeur. Un Charlo de bonne humeur après le Pakistan, enfin !

Ce séjour fut aussi l'occasion de rencontrer le monde religieux de l'Inde, le saddhu qui prépare la cuisine sous les notes de musique de la citar et du tavla, soirée enchanteresse et spéciale dans ce temple de Shiva perdu au milieu de la montagne…

Inde10 Inde11

Inde08 Inde06 Inde07

La semaine vue par Foucauld :

Inde13

Donc moi, moi j'ai cédé au réflexe acquit naturellement au fil du voyage, celui de toujours quitter les places de repos et d'enrichissement, quels que soient leur apport et leur intérêt, parce « qu'il faut » partir. De cette constatation, je retiens deux choses, tout d'abord la semaine que j'ai vécue seul et ensuite la réflexion sur notre mode de voyage, sur sa flexibilité, sur l'obligation contractuelle ou officieuse de primo, voyager et secundo, en bicyclette.

L'effort solitaire est tout différent de l'effort commun et je me suis même surpris le premier jour à attendre de consulter Charles (absent) pour prendre une pause… prendre un rythme personnel, c'est pas si facile, et d'être maître de tout ce que l'on fait, cela faisait bien longtemps que je l'avais oublié ! On se retrouve un peu avec ses envies, ses habitudes. Inde05 Paradoxalement, je pense que lorsque l'on part à seulement deux personnes, on « perd » davantage d'identité que lorsque l'on voyage à plusieurs, par le simple fait de l'unicité de l'interlocuteur et de la constance de sa pensée. Nos décisions sont communes, nous allons aux mêmes endroits : pour moi, ce voyage représente également une expérience de vie en couple et je m'aperçois à quel point notre voyage est parfois celui de ce couple, d'où le soulagement de vivre un peu en célibataire. J'avoue avoir été un peu trop surpris par notre séparation, qui n'avait aucun motif de mésentente, mais hormis cette surprise, reprendre ses marques était appréciable et sans doute utile pour retrouver du plaisir à voyager.

Petite note descriptive sur Shimla, la ville atteinte péniblement après trois jours de route : ancienne capitale d'été des Indes britanniques, perchée à 2 200 mètres d'altitude, Shimla regroupe dans ses hauteurs quelques manoirs et bâtiments anglais parfois décrépis, parfois en belles pierres, toujours coloniaux et délicieusement désuets. Sur un ensemble de collines s'étendent les hôtels qui enlaidissent désormais cette station de vacances où les habitants de Delhi et des Anglais nostalgiques aiment à se promener… on se sent comme dans un Disneyland avec une histoire, le temps s'écoule très lentement.

Inde16

Les montagnes pour y arriver offrent un paysage assez exotique avec bananiers, bambous, terrasses (encore et toujours)… Ici, la route a une vie propre, on ne peut faire cinq kilomètres sans trouver d'échoppes, de villages, de vendeur de thé. La solitude n'arrive que par intermittence, mais dans des cadres ô combien magnifiques. La chaussée peu large laisse toute sa place au paysage, j'avançais souvent sur ces routes qu'on dirait construites pour les cyclistes. Comme dit plus haut, les suées des montées, avec le soleil qui, ici, tape fort, importent peu face à la beauté des choses.

Inde14

Ensuite, sur les obligations tacites ou officielles de voyager, à bicyclette, je me sens pris entre deux feux. D'un certain côté, je suis sans doute parti un peu sans savoir ce qui m'attendais, innocent dans ma volonté de rencontrer et de voyager autant que possible. Nous avons réfléchi à ce que nous avons pu, il fallait de toutes façons donner un cadre relativement clair au voyage pour nous et nos « sponsors », et nous l'avons donné en toute bonne foi et selon nos envies. Mais la pratique montre qu'on ne peut pas être extrême et puriste. L'épreuve des faits montre par exemple qu'il est impossible pour nous, moralement, d'habiter systématiquement chez l'habitant, primo parce qu'il arrive (comme au Pakistan) que nous voyions trop de personnes dans la même journée, secundo parce que les rencontres sont parfois très répétitives et qu'il ne faut pas demander l'hospitalité pour économiser de l'argent (même si cela fait partie de nos raisons !), tertio parce qu'il y a des pays qui ne se prête pas à cet exercice, tout simplement : les référentiels européens et pakistanais ne se ressemblent pas.

Inde17

S'il est facile de dire que « nous allons là, en vélo », il ne faut pas pour autant y sacrifier tout son plaisir du voyage lorsque l'on en a vraiment assez de pédaler. Moi je suis parti parce que je pense que de toute façon il y a des choses intéressantes à découvrir partout et, c'est vrai, un peu par habitude de l'effort, des paysages qui attendent notre venue et du but à atteindre. Quelque part je me sens le devoir de voyager en vélo, mais à la vue de la chaleur qui règne déjà en Inde, je doute que nous finissions notre voyage en 100% sportif. J'espère simplement finir en bicyclette car même si c'est difficile, peut-être que cela donnera définitivement une autre couleur à nos rencontres.

Inde28 Inde29


Inde18

La retrouvaille à Lucknow se fait avec une facilité extraordinaire devant le dortoir de la gare. Sous le soleil et la chaleur retrouvée de la plaine nous commençons à réduire les 280 kilomètres et à nous raconter notre aventure de quelques jours seuls. Finalement les trois lendemains mis pour toucher la ville sacrée se ressembleront grandement. Nous vivons à nouveau parmi les plantations de canne à sucre et les Inde19 champs de blé lorsque nous quittons l'asphalte agréable des routes indiennes. Nos fesses ne s'en portent que mieux ! La tente au milieu des champs, nous près d'elle et les Indiens qui nous encerclent ; voilà le schéma de nos moments passés à la belle étoile sous le croissant de la lune étrange. Étrange « faucille d'or » qui ne s'oriente plus comme un « C » mais comme un « U ». Pourquoi ? Nous lisons dans ce signe céleste le bout de chemin parcouru sur la terre.

Inde27

Sous une « chaleur d'ours », trop vite retrouvée après la montagne, nous pénétrons dans Varanasi par un cocktail de vies et de couleurs indiennes, six mois après notre départ nous regardons maintenant avec sourire et inquiétude les mois d'été qui sont devant nous… sur la route du Cambodge.

Inde21

Déjà au travail avec les enfants des quartiers pauvres, nous n'avons pas beaucoup le temps de nous ennuyer par ici. Les explications viendront plus tard, dans la prochaine mise à jour.

Pour le moment, holly – fête qui marque le renouveau indien – arrive un peu plus de jour en jour dans les rues qui se colorent.

Et puis, une dernière chose avant de partir, le bain dans le Gange, c'est pour cet après midi…


Inde20 Inde23 Inde24

Inde25 Inde26

Retour à la carte


Dernière mise à jour le 11/06/06.
« Il faut que la pensée voyage et contemple, si l'on veut que le corps soit bien. » (Alain)